Sociologie des boulistes

Publié le par paquito

Depuis quelques semaines, l'engouement printanier de la pétanque qui se manifeste quotidiennement sous mes fenêtres, pour ainsi dire, a été à ma grande surprise, l'occasion d'une observation anthropolgique tout à fait digne d'intérêt.

Dans mon quartier, les adeptes du cochonnet constituent un public jeune et mixte, plutôt éduqué, sujet idéal d'une réflexion sociologique originale sur cette discipline franchouillarde par excellence, loin de l'observation résignée et pathétique du retraité FN de base, telle que l'on peut la subir sur les places des villages provençaux.

D'ailleurs, je vous invite, comme moi, à devenir acteur à part entière et plus seulement spectateur de ce théâtre urbain, afin d'approfondir votre réflexion par la mise en pratique, qui au milieu des crottes de chien de la rambla du boulevard Richard Lenoir, qui sur les contre-allées empestant l'urine (canine?) de la place de la Nation.

Mais revenons au sujet. Ainsi, en observant hier au bord du canal, une partie aprement disputée qui opposait deux doublettes mixtes (deux jeunes couples hétérosexuels tout à fait dans la norme de la population du nord parisien), c'est un espace de méditation considérable qui s'offrit à moi, quelque part entre "la domination masculine" de Bourdieu et "de la guerre" de l'amiral Clausewitz.

Je vous le dis, la pétanque est un sport tout à fait singulier, pour ne pas dire exceptionnel, dans la mesure ou cette discipline peut, selon les joueurs, être pratiquée tour à tour comme un "jeu de cible" individuel ou comme un affrontement à la vie à la mort, de type "duel".
A la différence du tennisman, du footballeur, du pongiste ou du basketteur, le pétanquiste n'affronte pas directement un adversaire en essayant d'investir symboliquement son territoire ; il vise plutôt à conquérir un objet neutre et partagé, le cochon, dont une approche réussie, à l'instar du tireur à l'arc, du golfeur ou du lanceur de fléchettes, peut bien souvent ne pas être exclusive d'une performance simultanée de l'adversaire.

Le pétanquiste sera tour à tour "joueur d'adresse" dans un registre individuel et "guerrier duelliste" selon qu'il décide de pointer ou tirer, selon qu'il a décidé d'ignorer l'adversaire, en contournant ses boules pour rouler doucement vers le goret, ou bien de l'anéantir en dégommant ses boules et en cherchant le carreau.
Tiraillé entre ces deux postures, il alternera bravades et vantardises, dignes de la joute la plus mesquine ("tu serais pas gaucher, des fois?", "fanny au bar !", "si tu vois pas le goret, c'est normal, il est derrière ma boule") et expressions de solidarité et de compassion plus ou moins feintes ("y avait de l'idée", "dommage, tu l'avais pris en passant").

Evidemment, vous me voyez venir, car quiconque a déjà pratiqué ce jeu dans une configuration mixte, connaît la symbolique genrée de la discipline qui s'impose à chacun presque contre son gré, répartissant vulgairement les rôles dans l'équipe, entre mâles et femelles, comme on le fait encore trop souvent à la maison chez les couples traditionnels.

Bourdieu nous l'a dit dans "la domination masculine" : depuis le temps des cavernes, la guerre, c'est l'affaire des hommes, brutaux et gonflés de testostérone et de connerie. Les femmes, vulnérables et réfléchies, investies de la haute mission de la reproduction de l'espèce, restent au gîte, se chargent d'élever les enfants et le bétail, de soigner, de gérer les provisions et le budget. Bref, de préparer l'avenir pendant que leurs jules saccagent le présent.

Bourdieu aurait disserté sans fin sur la sociologie genrée de la pétanque mais, comme ce cher homme n'est plus de ce monde, je me hasarde immodestement à marcher dans ses traces pour prolonger les termes de sa pensée sur le gravillon de la promenade Eric Tabarly.

Autour du cochonnet, la femme soumise au macchisme de la société, est certes délivrée provisoirement de la corvée de lessive et de torchage des mômes, mais c'est pour rester sous la férule de son partenaire velu qui lui dictera immanquablement la tactique à adopter, lui réservant la tâche productive mais pourtant peu valorisée (dans l'échelle de valeurs des boulistes) de pointer.
Le mâle, lui, s'arrogera la prestigieuse mission de tirer (faire la guerre) et généralement de conclure la partie, se réservant la possibilité d'apparaître comme le sauveur, le fin stratège et l'ultime recours avant la catastrophe.



Si vous êtes passionné et qu'il vous arrive de jouer en nocturne, n'oubliez pas votre "Cocholume", le cochonnet qu'on allume!



Voilà pour la doctrine, car dans la pratique, sauf à associer une débutante à un champion régional, vous constaterez souvent une réalité bien différente et cruelle pour "le patron" de l'équipe.
C'est le jeu de la femme qui apporte en général le plus de bénéfices à l'équipe (engranger des points ou limiter la casse, en jouant le cochonnet), alors que les bombardements approximatifs et vindicatifs de l'homme à l'encontre de "l'ennemi" ne produiront généralement que poussière de graviers, dans le meilleur des cas, et un bon vieux "cassage de barraque" (dégommer par erreur les boules de son propre camp) dans le pire.

Comme dans la hutte ou le F3 de HLM, la femme assure donc modestement et efficacement le fonctionnement du foyer pendant que l'homme gaspille son énergie au troquet, sur le terrain de foot ou en gueulant devant la télé.

Aussi, chers amis, je vous invite à combattre ensemble cette réalité macchiste, qui n'est pas une fatalité, autour du cochonnet et de quelques verres de pastis, en inversant les rôles avec vos partenaires du beau sexe (si, si, il est beau, je vous l'assure), voire en constituant des équipes unisexes. Autant d'amusement sûrement, et assurément moins de projectiles d'acier qui font plouf ! dans le canal ...










Publié dans zusammen

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B
Equitablement, je ne saurai l'affirmer.<br /> Pénible : non, sans hésitation.
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P
<br /> vil flatteur.<br /> prêts pour les Nuits, les petits amis ?<br /> <br /> <br />
P
C'est un peu vrai mais chut!!! il en faut pas le dire, sinon il vont tous déguerpir.
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B
Etonnant cet article sous ta plume car généralement tu n'es pas économe en conseils tactiques (il est vrai avec des affreux généralement) mais terriblement vrai.
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P
<br /> mais je sais reconnaître mes travers, mon cher.<br /> néanmoins si je suis pénible avec mes conseils, je crois que je les dispense équitablement aux deux sexes.<br /> <br /> <br />
P
Bon article M. Beauvalletkiller.<br /> <br /> Il est vrai que je ne vois pas beaucoup de femmes tirer dans les jeu de pétanque. Je ne sais pas à quoi c'est dû. Certainement que les jeux longs ne favorisent pas cela.<br /> <br /> Pourtant les femmes qui jouent (aussi bien que les hommes voire mieux) à la pétanque il y en a beaucoup même si c'est un sport traditionnellement masculin, voire misogyne — pas besoin de réfléchir longtemps pour trouver toutes sortes d'allusions aux boules qui sont utilisées ainsi qu'aux expressions afferentes ("j'ai plus de boules", "je tire une boule", "j'ai lancé toutes mes boules"…à l'envie).<br /> Pourtant certaines comme Mlle G. , jeudi dernier, font preuve d'un technique qui me surprend, mais néanmoins efficace (la roulette pour ne pas la nommer), peu de femmes choisissent l'offensive directe. Peut-être alors est-ce une question de lieu, dans le sud les femmes jouent peut-être plus à la pétanque que les parisiennes?<br /> <br /> Pour conclure, les jeux pas trop longs favoriseront, certainement les fièvres bellicistes des parisiennes adeptes de la pétanque.<br /> <br /> A démontrer jeudi prochain.
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P
<br /> tu sais très bien que ceux ou celles qui oseront nous proposer un jeu court signeront ipso facto leur arrêt de mort ...<br /> <br /> <br />