The game

Publié le par paquito

Pour occuper les longs trajets en TGV avec multiples haltes méridionales, il y a certes le sudoku et le dernier roman de Guillaume Musso. Mais rien ne vaut les grands classiques du ludisme ferroviaire.

Parmi ces multiples activités intéractives que l'on peut pratiquer ou observer pour bien rigoler dans un un wagon de seconde classe, de préférence, on connaît la partie de cache-cache avec le contrôleur, la traversée du train entier avec la valise à roulettes, ou encore la recherche de WC propres.

Mais le must, le plus distrayant et intéractif reste sans conteste, le jeu du « pique-moi ma place, je piquerai celle d'un autre », sorte de variante des chaises musicales appliquée aux trajets en TGV (donc avec places réservées, c'est important).

Pour bien pratiquer ce jeu, il faut disposer d'un trajet offrant un nombre respectable de haltes, ce qui permet, à chaque arrêt en gare, de relancer la partie.

Il faut aussi choisir une date propice : aucun intérêt en semaine lorsque le train est à moitié vide. On préférera largement un vendredi soir ou un samedi de grands départs en vacances, lorsque presque toutes les places ont été réservées. La présence de nombreux bagages encombrants mettra également un peu de piment.

Mais, avant tout, la condition sine qua non de réussite de cette performance collective, c'est qu'un nombre suffisant de voyageurs montant au départ du train aient eu, sans se concerter, l'idée de jouer (plutôt que de mater un DVD débile) et initient le processus en s'installant, volontairement ou non, à une autre place que la leur.

Dès lors, la partie peut commencer et s'anime, lorsqu'à la première halte, un voyageur montant dans le train découvre que sa place est occupée par un joueur.

A ce moment là, une alternative cruciale s'offre à lui : soit il décide de se joindre à la partie en renonçant à faire déplacer la personne qui lui a pris sa place, pour lui même piquer une autre place, et on devine dès lors la puissance de la réaction en chaîne qui va pouvoir s'amorcer ! ou bien, c'est un mauvais coucheur et dans ce cas, il revendique sa place et ne prend pas part au jeu, et se contente de toiser avec mépris le joueur qu'il vient de déloger reprendre ses périgrinations et poursuivre un peu plus loin sa partie.

On voit donc les nombreuses figures combinatoires qui sont offertes par ce jeu : grand chelem dans le carré (faire successivement les 4 places du carré), pas de deux (en places duo, alterner à chaque gare la place couloir et la place fenêtre), jeu à trois avec le contrôleur, lorsque le joueur intrus décide de refuser de se déplacer et oblige son partenaire involontaire à aller chercher un arbitre ...

Outre le fait de rompre la monotonie du voyage et de nous permettre de réviser nos calculs de probabilités de terminale, ce jeu vise avant tout à créer un lien supplémentaire entre les voyageurs : sans le jeu, ils s'ignorent simplement, tandis qu'avec le jeu, ils se toisent sombrement, ou s'engueulent bruyamment, sans parler des autres voyageurs spectateurs qui, du coup, s'échangent des regards exaspérés.

 

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Je vous le dis, le sudoku, c'est de la merde !

 

Mais je devine votre prochaine question car je vous ai mis l'eau à la bouche : quelles sont les conditions pour jouer ?

Mettons d'emblée de côté le profil radical du joueur de l'extrême qu'est le resquilleur sans billet : amoureux du risque, il augmente le risque de se faire gauler en participant à la partie, au lieu de d'essayer de passer inaperçu à la voiture bar. C'est le Jonathan Hart du TGV Sud-Est ! (car c'est toujours un homme).

Mais à part ce rare spécimen suicidaire, il y a deux principales catégories de joueurs : le joueur volontaire et le joueur malgré lui (donc qui joue sans le savoir, c'est magnifique !)

Le joueur volontaire essaie généralement, par égoïsme classique, de piquer une place meilleure que celle qu'il a réservée, genre pour éviter le carré où il va devoir supporter les hurlements de morveux hyperactifs pendant 5 heures.

Sa motivation peut être aussi plus socialisante : voyageant accompagné, il n'a pas pensé à faire une réservation conjointe avec le reste du groupe, ce qui l'amène à devoir jouer pour pouvoir rester à déblatérer des âneries avec eux (notons que même lorsque le joueur gagne et conquiert la place convoitée, il échange rarement plus de 10 mots avec ses amis pendant le reste du voyage, car ils n'ont rien à se dire en fait).

Quant au joueur malgré lui, c'est un véritable artiste qui s'ignore : le cas le plus répandu ne sait pas distinguer la fenêtre du couloir. Il y a aussi le touriste étranger qui ne comprend rien au système de réservation, ou encore l'illettré qui ne sait pas lire son billet. Mais le plus fort est celui qui se trompe de voiture ou confond le haut et le bas du duplex.

Et puis il y a la figure ultime du méta-joueur involontaire : celui qui, tellement habitué à ce qu'on lui pique régulièrement sa place, voit des joueurs là où il n'y en a pas et, blasé, oublie de vérifier son billet et vous demande de décaniller, alors que vous êtes installé à la bonne place. C'est très fort : comment jouer, même sans joueurs ...

 

Alors ok, me direz-vous, c'est marrant, mais comment expliquer tout de même un tel engouement pour cette pratique ?

J'ai ma petite idée que je vous livre, et qui tient selon moi à l'étonnante contemporanéité des valeurs que ce jeu mobilise, totalement en phase avec le programme de notre bien-aimé Président et de ses deux roquets alto-ligérien et drômien.

Le hasard, en premier lieu, qui à force de coupes sévères dans les budgets de l'éducation nationale et de la recherche, a désormais supplanté le mérite et la connaissance dans l'esprit d'une bonne partie de la population comme seul espoir de réussite sociale. Euromillion du loto et jeux débiles à la télé sont là pour nous le rappeler, alors que dans le même temps, des hordes de diplômés lettrés, « inemployables » assistés, squattent inlassablement les guichets des locaux faméliques du Pôle Emploi.

Mais surtout, en second lieu, l'esprit de concurrence féroce auquel ce jeu fait appel nous rappelle qu'à l'extérieur du train, également, la société nous est présentée comme une jungle où, pour faire sa place, la seule issue est d'enfoncer son semblable ou de doubler son voisin.

Alors, comment mieux se préparer psychologiquement à retrouver son chef et ses collègues de travail lors de son trajet de retour de vacances, hein ??


Publié dans zusammen

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I
<br /> Au Mali aussi ce jeu est très prisé (en 1ere classe). Certains joueurs n'hésitent pas à vociférer que la régie des chemins de fer de l'Afrique de l'ouest vend deux fois les mêmes places. Après<br /> vérification il s'avère que certains se sont simplement trompés de voiture.<br /> <br /> <br />
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