L'homme qui aimait les amoureux

Publié le par paquito

Je n'ajouterai pas maladroitement ici mon hommage aux innombrables commentaires qui ont succédé à l'annonce du décès d'Eric Rohmer, mais tout de même, je vous le dis, il y a quelques pertes comme celle-ci, ou comme celle de Krystof Kieslowski, qui me plongent inexplicablement dans une profonde mélancolie. 

L'homme était immortel, du moins avait-on fini par le croire.  Pas tant en raison de son étonnante longévité que par l'intemporalité de sa production.

Le dialogue amoureux, encore et toujours : l'amour peut-il durer ? peut-il être réciproque ? peut-il s'accommoder de l'infidélité ? Peut-il renaître de ses cendres ? Toute une série d'interrogations que tant et tant d'autres ont abordé.

Mais quoi d'autre ? 

Pour moi, Rohmer se distingue définitivement de la masse en apportant une réponse sans ambiguïté et argumentée à la dernière grande question qui nous taraude tous après les précédentes : l'amitié sincère peut-elle exister entre un homme et une femme, sans arrière-pensées et frustrations d'aucune sorte ?

Question qui se démarque largement des sentiers battus de la littérature et du cinéma, vous en conviendrez.

Première étude de cas, l'amitié prétendue sincère et désintéressée entre "ex". C'est le schéma de "conte d'hiver" dans lequel un amoureux transi dispense l'héroïne de ses nombreux conseils pragmatiques visant à la faire renoncer à l'espoir de retrouver son grand amour, perdu suite à un coup du sort, et qu'elle n'a, bien sûr, que très peu de chances de retrouver.

La raison devrait conduire l'héroïne à renoncer à son rêve et se consoler médiocrement dans les bras de son ami confident. Mais elle choisit l'improbable, le fameux pari de Pascal : "j'ai tellement à gagner et si peu à perdre". Le hasard, qu'elle a ainsi forcé par sa foi pascalienne, lui donnera raison. Avec la bénédiction de Rohmer qui, s'il n'est pas croyant, donne pour le moins raison aux rêveurs face aux calculateurs.

Moralité : celui qui dépense tant d'empressement à vous conseiller le fait souvent dans son intérêt plutôt que dans le vôtre, surtout en matière d'amour ...

Deuxième cas de figure tout aussi édifiant : la relation "père-fille" entre l'homme mûr et la jeune fille innocente, dans laquelle la figure expérimentée du père par procuration se doit d'instruire et de mettre en garde la jeune fille face aux futures désillusions de son âge.

Situation freudienne par excellence, rencontrée plus fréquemment chez Rohmer, notamment dans "le genou de Claire" ou "Pauline à la plage", avec deux "pères" rivaux dans ce dernier cas. A chaque fois, l'homme mûr soit disant désintéressé ne tarde pas à tomber le masque, davantage victime pathétique de son attirance d'homme mûr, que Don Juan machiavélique.

Conclusion : pas d'amitié inter-générationnelle entre un homme et une femme ; simplement du désir d'un côté et de la curiosité de l'autre.

 

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Dans "conte d'hiver", Charlotte Véry plaque sa vie à Nevers pour tenter de retrouver son grand amour à Paris : comme quoi, il y a des paris qu'il faut savoir prendre ...

 

Troisième et dernier cas, mon préféré et le plus complexe, l'amitié complice faussement désintéressée entre les deux célibataires géographiques de "Conte d'été", l'un et l'autre éloigné de leur chéri par les vacances.

Les deux protagonistes faussement innocents dans leurs premiers bavardages platoniques, tombent amoureux l'un de l'autre non "par la force des choses", mais parce qu'ils se sont bel et bien choisis après leur rencontre fortuite sur la plage.

Leurs affinités intellectuelles confortent leur première attirance et le processus de séduction est calculé par l'un et l'autre, même s'il ne sera finalement pas concrétisé. Pour l'un et l'autre, à l'issue de l'histoire, un rappel au parcours de vie qu'ils se sont déjà tracés se présente et leur permet de se séparer sans avoir à assumer leur renoncement à un possible grand amour. A moins que ce ne soit qu'une aventure sans conséquence qu'ils laissent filer ?

L'auteur ne prend pas parti et laisse le spectateur dans le doute au moment du générique de fin, tout comme les deux personnages qui auront toujours des doutes sur les sentiments de l'autre ...

Alors, vous avez déjà vécu quelque chose de semblable ? Si vous me dites non, je ne vous croirai pas ...

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Le zami de la semaine

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I
<br /> good job !<br /> <br /> <br />
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I
<br /> Paquito ton blog est le plus jetlagué que je connaisse :))) Attendre le décès de Dennis Hopper pour se retourner sur l'oeuvre de Rohmer il fallait le faire !<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> on est anticonformiste ou on ne l'est pas ...<br /> <br /> <br /> <br />